La scandaleuse Beyoncé

La robe de Beyoncé au Met Gala de New York a fait une sorte de scandale dans les médias américains. Ce n'est pourtant pas sa nudité qui a pu faire scandale; à l'heure d'Internet et des sex tapes, cela ne peut pas être ça.
Non, c'est autre chose qui a fait scandale, quelque chose de plus indéfinissable et de difficile à appréhender pour le public américain, chose qui ne semble cependant pas avoir entièrement échappé au Washington Post.
"Beyoncé a semblé rendre hommage aux concubines impériales, avec l'impeccable Jay Z en smoking dans le rôle de l'Empereur." C'est ainsi que le Washington Post décrit la scène.
Et il faut reconnaitre que la robe de Beyoncé, bien loin de traduire une forme de modernité, nous ramène plutôt au siècle de Zola, à Napoleon III, au triomphe de l'argent et au règne des cocottes, en forme d'évocation troublante du capitalisme financier.
Dans La Curée, de Zola, la scandaleuse Renée, mariée au financier Saccard, un aventurier qui a fait fortune dans la spéculation immobilière des chantiers du Paris de Haussmann, n'a rien a envier, en termes de tenues scandaleuses et un siècle et demi plus tôt, à la Beyoncé de 2015.
" Mais lorsque Renée descendit enfin, il se fit un demi-silence. Elle avait mis un nouveau costume, d’une grâce si originale et d’une telle audace, que ces messieurs et ces dames, habitués pourtant aux excentricités de la jeune femme, eurent un premier mouvement de surprise. Elle était en Otaïtienne. Ce costume, paraît-il, est des plus primitifs: un maillot couleur tendre, qui lui montait des pieds jusqu’aux seins, en lui laissant les épaules et les bras nus ; et, sur ce maillot, une simple blouse de mousseline, courte et garnie de deux volants, pour cacher un peu les hanches. Dans les cheveux, une couronne de fleurs des champs; aux chevilles et aux poignets, des cercles d’or. Et rien d’autre. Elle était nue. Le maillot avait des souplesses de chair, sous la pâleur de la blouse ; la ligne pure de cette nudité se retrouvait, des genoux aux aisselles, vaguement effacée par les volants, mais s’accentuant et reparaissant entre les mailles de la dentelle, au moindre mouvement. C’était une sauvagesse adorable, une fille barbare et voluptueuse, à peine cachée dans une vapeur blanche, dans un pan de brume marine, où tout son corps se devinait.
Renée, les joues roses, avançait d’un pas vif. Céleste avait fait craquer un premier maillot ; heureusement que la jeune femme, prévoyant le cas, s’était précautionnée. Ce maillot déchiré l’avait mise en retard. Elle parut se soucier peu de son triomphe. Ses mains brûlaient, ses yeux brillaient de fièvre. Elle souriait pourtant, répondait par de petites phrases aux hommes qui l’arrêtaient, qui la complimentaient sur sa pureté d’attitudes, dans les tableaux vivants. Elle laissait derrière elle un sillage d’habits noirs étonnés et charmés de la transparence de sa blouse de mousseline. Quand elle fut arrivée au groupe de femmes qui entouraient Maxime, elle souleva de courtes exclamations, et la marquise se mit à la regarder de la tête aux pieds, d’un air tendre, en murmurant :
– Elle est adorablement faite.
Mme Michelin, dont le costume d’almée devenait horriblement lourd à côté de ce simple voile, pinçait les lèvres, tandis que Mme Sidonie, ratatinée dans sa robe noire de magicienne, murmurait à son oreille :
– C’est de la dernière indécence, n’est-ce pas, ma toute belle ?
– Ah ! bien, dit enfin la jolie brune. C’est M. Michelin qui se fâcherait, si je me déshabillais comme ça !
– Et il aurait raison, conclut la courtière.
La bande des hommes graves n’était pas de cet avis. Ils s’extasiaient de loin. M. Michelin, que sa femme mettait si mal à propos en cause, se pâmait, pour faire plaisir à M. Toutin-Laroche et au baron Gouraud, que la vue de Renée ravissait. On complimenta fortement Saccard sur la perfection des formes de sa femme. Il s’inclinait, se montrait très touché."
Non, c'est autre chose qui a fait scandale, quelque chose de plus indéfinissable et de difficile à appréhender pour le public américain, chose qui ne semble cependant pas avoir entièrement échappé au Washington Post.
"Beyoncé a semblé rendre hommage aux concubines impériales, avec l'impeccable Jay Z en smoking dans le rôle de l'Empereur." C'est ainsi que le Washington Post décrit la scène.
Et il faut reconnaitre que la robe de Beyoncé, bien loin de traduire une forme de modernité, nous ramène plutôt au siècle de Zola, à Napoleon III, au triomphe de l'argent et au règne des cocottes, en forme d'évocation troublante du capitalisme financier.
Dans La Curée, de Zola, la scandaleuse Renée, mariée au financier Saccard, un aventurier qui a fait fortune dans la spéculation immobilière des chantiers du Paris de Haussmann, n'a rien a envier, en termes de tenues scandaleuses et un siècle et demi plus tôt, à la Beyoncé de 2015.
" Mais lorsque Renée descendit enfin, il se fit un demi-silence. Elle avait mis un nouveau costume, d’une grâce si originale et d’une telle audace, que ces messieurs et ces dames, habitués pourtant aux excentricités de la jeune femme, eurent un premier mouvement de surprise. Elle était en Otaïtienne. Ce costume, paraît-il, est des plus primitifs: un maillot couleur tendre, qui lui montait des pieds jusqu’aux seins, en lui laissant les épaules et les bras nus ; et, sur ce maillot, une simple blouse de mousseline, courte et garnie de deux volants, pour cacher un peu les hanches. Dans les cheveux, une couronne de fleurs des champs; aux chevilles et aux poignets, des cercles d’or. Et rien d’autre. Elle était nue. Le maillot avait des souplesses de chair, sous la pâleur de la blouse ; la ligne pure de cette nudité se retrouvait, des genoux aux aisselles, vaguement effacée par les volants, mais s’accentuant et reparaissant entre les mailles de la dentelle, au moindre mouvement. C’était une sauvagesse adorable, une fille barbare et voluptueuse, à peine cachée dans une vapeur blanche, dans un pan de brume marine, où tout son corps se devinait.
Renée, les joues roses, avançait d’un pas vif. Céleste avait fait craquer un premier maillot ; heureusement que la jeune femme, prévoyant le cas, s’était précautionnée. Ce maillot déchiré l’avait mise en retard. Elle parut se soucier peu de son triomphe. Ses mains brûlaient, ses yeux brillaient de fièvre. Elle souriait pourtant, répondait par de petites phrases aux hommes qui l’arrêtaient, qui la complimentaient sur sa pureté d’attitudes, dans les tableaux vivants. Elle laissait derrière elle un sillage d’habits noirs étonnés et charmés de la transparence de sa blouse de mousseline. Quand elle fut arrivée au groupe de femmes qui entouraient Maxime, elle souleva de courtes exclamations, et la marquise se mit à la regarder de la tête aux pieds, d’un air tendre, en murmurant :
– Elle est adorablement faite.
Mme Michelin, dont le costume d’almée devenait horriblement lourd à côté de ce simple voile, pinçait les lèvres, tandis que Mme Sidonie, ratatinée dans sa robe noire de magicienne, murmurait à son oreille :
– C’est de la dernière indécence, n’est-ce pas, ma toute belle ?
– Ah ! bien, dit enfin la jolie brune. C’est M. Michelin qui se fâcherait, si je me déshabillais comme ça !
– Et il aurait raison, conclut la courtière.
La bande des hommes graves n’était pas de cet avis. Ils s’extasiaient de loin. M. Michelin, que sa femme mettait si mal à propos en cause, se pâmait, pour faire plaisir à M. Toutin-Laroche et au baron Gouraud, que la vue de Renée ravissait. On complimenta fortement Saccard sur la perfection des formes de sa femme. Il s’inclinait, se montrait très touché."