JÉRÔME KERVIEL - La Société Générale perd aux Prud'hommes
Reprise d'un article du 19 mars 2014. La Société Générale condamnée à verser 450 000 € à Jérôme Kerviel aux Prud'hommes les 7 juin 2016. La Banque fait appel.
Les épaules de Kerviel
Les problèmes posés par la condamnation de Jérôme Kerviel à trois ans de prison
J'affirme, sur la base des informations portées à ma connaissance, nécessairement partielles,
- que la présomption d'innocence de Jérôme Kerviel n'a pas été respectée,
- que les droits à la défense de Jérôme Kerviel n'ont pas été garantis.
Ceci en raison d'un parti pris de la Société Générale et d'une méconnaissance du fonctionnement d'une banque de la part des juges.
En conséquence de quoi la seule justice qui puisse être faite à Jérôme Kerviel est la relaxe.
Ce qu'est le contrôle dans une banque
Un établissement financier est tenu à la mise en place d'un système de contrôle étendu. Le Dirigeant Responsable d'un banque, c'était Daniel Bouton à l'époque de l'affaire Kerviel, se porte garant de la mise en place de contrôles permanents, de procédures, de routines et contrôles, d'une structure d'audit interne, de la documentation et de l'archivage documentaire des processus et des résultats des contrôles et investigations. Il est tenu de respecter et de faire respecter les obligations légales et réglementaires. Il rend compte à la Commission bancaire de la solidité de son établissement et de la robustesse des processus d'identification et de gestion des risques.
Ce que la Société Générale aurait dû faire dans l'affaire Kerviel
Dans une affaire comme celle de Kerviel, le Dirigeant Responsable confie typiquement un audit à son corps d'élite, l'audit interne, ou inspection générale, et non pas aux commisaires aux comptes, qui représentent un corps extérieur disposant de moyens d'investigation limités à la bonne volonté de son client.
Un audit ne peut être conduit à charge. Un périmètre est d'abord défini, dans le cas d'espèce les opérations du service dans lequel Kerviel officiait. La documentation existante sur le département est passée en revue méticuleusement: de quelle façon il fonctionne, quel est son "business model" (de quelle façon il gagne de l'argent), quels sont les rôles et responsabilités de chacun, employés, superviseurs, quelles sont les procédures et délégations mises en place, quelle est la nature des opérations qu'il pratique, leur volume et les risques qui y sont associés. Une absence de documentation sera dûment notée.
Une fois défini le périmètre de l'audit, l'équipe en charge de l'investigation doit procéder à un travail minutieux pour tenter de comprendre non pas tant ce qui s'est passé que la raison pour laquelle cela s'est produit. Il s'agit donc d'identifier des déficiences dans le système de contrôle et dans les pratiques. Les personnes impliquées dans le département à tout niveau seront interviewées pour tenter d'établir si un système "informel", c'est-à-dire de pratiques hors règles, ne s'est pas imposé au fil du temps. C'est à ce moment qu'on tente de comprendre s'il y a eu, cas le plus grave, détournement et enrichissement personnel, si des procédures internes ont volontairement été ignorées, et par qui, si elles n'avaient simplement pas cours, ou s'il s'agit de négligence ou de processus et de systèmes de contrôles défectueux ou insuffisants.
A aucun moment on ne peut présumer de la responsabilité de tel ou tel, et ceci jusqu'à la fin de l'audit.
Or, dans le cas de Jérôme Kerviel, Daniel Bouton a immédiatement désigné Jérôme Kerviel comme coupable, pesant de tous son poids de Président. Il a biaisé de ce fait les travaux d'investigation. Il a également communiqué sur le sujet dans les médias, faussant leur perception de l'affaire, tous ayant immédiatement accepté sa version des faits: un seul coupable, Jérôme Kerviel.
Ce que la Justice aurait dû faire
A aucun moment la Justice n'aurait dû s'appuyer sur des documents fournis par la Société Générale, juge et partie. Une enquête indépendante approfondie auraît dû être menée, ne reprenant qu'à titre de matériaux la documentation et les résultats d'audit existants fournis par la banque, en les contre-expertisant, opération qui exigeait la mobilisation de moyens considérables et une expertise adéquate.
Il est essentiel de noter une dissymétrie dans l'accès aux pièces du dossier entre la Société Générale et Jérôme Kerviel. Kerviel ayant été mis à pied, il n'avait plus accès aux documents permettant d'assurer sa défense. La Société Générale, de son côté, a pu soigneusement sélectionner les pièces à charge contre Jérôme Kerviel, omettre de fournir les pièces embarrassantes, et enfin faire pression sur les témoins en tant qu'employeur, quitte à leur promettre des primes de départ généreuses.
En toute rigueur, Jérôme Kerviel n'aurait pas dû être mis à pied et invité à quitter l'établissement. Il auraît dû être mis à contribution pour accélérer l'audit, tout en lui interdisant, bien entendu, de continuer ses opérations. Cela aurait également présenté l'avantage de lui permettre de se défendre en sollicitant, par exemple, des échanges d'emails, ou en confrontant ses supérieurs.
Il est bien entendu impossible de faire la lumière entière sur l'affaire sans être directement impliqué dans l'investigation.
Une chose reste: Jérôme Kerviel a été désigné comme seul coupable et il n'a pu assurer sa défense sur un pied d'égalité avec la Société Générale, établissement d'une puissance considérable.
En l'absence d'enrichissement personnel et en l'absence d'une enquête sérieuse et impartiale, la Justice auraît dû se déclarer incompétente et s'en remettre aux simples Prud'hommes pour l'appréciation des conditions dans lequelles devaient se réaliser la rutpure entre Jérôme Kerviel et la banque.
D'autres problèmes se posent, bien entendu, liés à l'environnement de l'époque, la crise de liquidités, ainsi qu'aux pratiques de gestion du résultat et de la fiscalité de la Société Générale. Ces questions n'ont pas réellement lieu ici: elles ne changent pas la conclusion.
David G. Boo
19 mars 2014
Les problèmes posés par la condamnation de Jérôme Kerviel à trois ans de prison
J'affirme, sur la base des informations portées à ma connaissance, nécessairement partielles,
- que la présomption d'innocence de Jérôme Kerviel n'a pas été respectée,
- que les droits à la défense de Jérôme Kerviel n'ont pas été garantis.
Ceci en raison d'un parti pris de la Société Générale et d'une méconnaissance du fonctionnement d'une banque de la part des juges.
En conséquence de quoi la seule justice qui puisse être faite à Jérôme Kerviel est la relaxe.
Ce qu'est le contrôle dans une banque
Un établissement financier est tenu à la mise en place d'un système de contrôle étendu. Le Dirigeant Responsable d'un banque, c'était Daniel Bouton à l'époque de l'affaire Kerviel, se porte garant de la mise en place de contrôles permanents, de procédures, de routines et contrôles, d'une structure d'audit interne, de la documentation et de l'archivage documentaire des processus et des résultats des contrôles et investigations. Il est tenu de respecter et de faire respecter les obligations légales et réglementaires. Il rend compte à la Commission bancaire de la solidité de son établissement et de la robustesse des processus d'identification et de gestion des risques.
Ce que la Société Générale aurait dû faire dans l'affaire Kerviel
Dans une affaire comme celle de Kerviel, le Dirigeant Responsable confie typiquement un audit à son corps d'élite, l'audit interne, ou inspection générale, et non pas aux commisaires aux comptes, qui représentent un corps extérieur disposant de moyens d'investigation limités à la bonne volonté de son client.
Un audit ne peut être conduit à charge. Un périmètre est d'abord défini, dans le cas d'espèce les opérations du service dans lequel Kerviel officiait. La documentation existante sur le département est passée en revue méticuleusement: de quelle façon il fonctionne, quel est son "business model" (de quelle façon il gagne de l'argent), quels sont les rôles et responsabilités de chacun, employés, superviseurs, quelles sont les procédures et délégations mises en place, quelle est la nature des opérations qu'il pratique, leur volume et les risques qui y sont associés. Une absence de documentation sera dûment notée.
Une fois défini le périmètre de l'audit, l'équipe en charge de l'investigation doit procéder à un travail minutieux pour tenter de comprendre non pas tant ce qui s'est passé que la raison pour laquelle cela s'est produit. Il s'agit donc d'identifier des déficiences dans le système de contrôle et dans les pratiques. Les personnes impliquées dans le département à tout niveau seront interviewées pour tenter d'établir si un système "informel", c'est-à-dire de pratiques hors règles, ne s'est pas imposé au fil du temps. C'est à ce moment qu'on tente de comprendre s'il y a eu, cas le plus grave, détournement et enrichissement personnel, si des procédures internes ont volontairement été ignorées, et par qui, si elles n'avaient simplement pas cours, ou s'il s'agit de négligence ou de processus et de systèmes de contrôles défectueux ou insuffisants.
A aucun moment on ne peut présumer de la responsabilité de tel ou tel, et ceci jusqu'à la fin de l'audit.
Or, dans le cas de Jérôme Kerviel, Daniel Bouton a immédiatement désigné Jérôme Kerviel comme coupable, pesant de tous son poids de Président. Il a biaisé de ce fait les travaux d'investigation. Il a également communiqué sur le sujet dans les médias, faussant leur perception de l'affaire, tous ayant immédiatement accepté sa version des faits: un seul coupable, Jérôme Kerviel.
Ce que la Justice aurait dû faire
A aucun moment la Justice n'aurait dû s'appuyer sur des documents fournis par la Société Générale, juge et partie. Une enquête indépendante approfondie auraît dû être menée, ne reprenant qu'à titre de matériaux la documentation et les résultats d'audit existants fournis par la banque, en les contre-expertisant, opération qui exigeait la mobilisation de moyens considérables et une expertise adéquate.
Il est essentiel de noter une dissymétrie dans l'accès aux pièces du dossier entre la Société Générale et Jérôme Kerviel. Kerviel ayant été mis à pied, il n'avait plus accès aux documents permettant d'assurer sa défense. La Société Générale, de son côté, a pu soigneusement sélectionner les pièces à charge contre Jérôme Kerviel, omettre de fournir les pièces embarrassantes, et enfin faire pression sur les témoins en tant qu'employeur, quitte à leur promettre des primes de départ généreuses.
En toute rigueur, Jérôme Kerviel n'aurait pas dû être mis à pied et invité à quitter l'établissement. Il auraît dû être mis à contribution pour accélérer l'audit, tout en lui interdisant, bien entendu, de continuer ses opérations. Cela aurait également présenté l'avantage de lui permettre de se défendre en sollicitant, par exemple, des échanges d'emails, ou en confrontant ses supérieurs.
Il est bien entendu impossible de faire la lumière entière sur l'affaire sans être directement impliqué dans l'investigation.
Une chose reste: Jérôme Kerviel a été désigné comme seul coupable et il n'a pu assurer sa défense sur un pied d'égalité avec la Société Générale, établissement d'une puissance considérable.
En l'absence d'enrichissement personnel et en l'absence d'une enquête sérieuse et impartiale, la Justice auraît dû se déclarer incompétente et s'en remettre aux simples Prud'hommes pour l'appréciation des conditions dans lequelles devaient se réaliser la rutpure entre Jérôme Kerviel et la banque.
D'autres problèmes se posent, bien entendu, liés à l'environnement de l'époque, la crise de liquidités, ainsi qu'aux pratiques de gestion du résultat et de la fiscalité de la Société Générale. Ces questions n'ont pas réellement lieu ici: elles ne changent pas la conclusion.
David G. Boo
19 mars 2014